Skyrock.com
  • ACCUEIL
  • BLOGS
  • PROFILS
  • CHAT
  • Apps
  • Musique
  • Sources
  • Vidéos
  • Cadeaux
  • Connecte-toi
  • Crée ton blog

STEFGAMERS

Photo de STEFGAMERS
  • Suivre
  • Envoyer un messageMessage
  • Voir son profil
  • Plus d'actions ▼
  • Offrir un cadeau
  • Bloquer
  • S'abonner à mon blog

Statistiques

  • 37 834 Visites
  • 368 Kiffs
  • 1 797 Coms

8 000 archives

  • en attente
  • en attente
  • en attente
  • en attente

177 fans

  • WatsonStreet
  • MelanieCroze45
  • BJADCS
  • messagesauxfans

102 sources

  • hommage2
  • FIREFLY-JONGLE
  • HilaryDuffWeb
  • paperjouets

16 honneurs

  • Fans 100
  • Custom
  • Kiffé Koi !
  • Amis 100

Partage

  • Tweet
  • Amis 0

STANLEY KUBRICK



COMME D'HABITUDE , VOICI LA PARTIE MUSICALE DE FILMS . IL VOUS SUFFIT DE LIRE LA VIDEO PUIS DE CLIQUER SUR LE LIEN EN-DESSOUS POUR VISUALISER LES PHOTOS SUR LA THEMATIQUE MUSICALE . IL FAUT NAVIGUER PAR ONGLET POUR EN PROFITER .




STANLEY KUBRICK ET LA MUSIQUE






Si l'on devait brièvement analyser la place de la musique dans la filmographie de Kubrick, on pourrait se contenter de quelques lignes : peu de musique originale, quelques arrangements synthétiques, beaucoup de musique préexistante. C'est sur ce dernier point que Kubrick s'est très nettement démarqué de ses concurrents : dans une utilisation toute personnelle des grands airs de la musique classique ou de pièces de musique contemporaines pratiquement inconnues à l'époque. Cette façon de traiter la musique préexistante comme « personnage » à part, comme « fil d'Ariane », de telle manière que ces pièces archi connues paraissent avoir été écrites pour le film, ce qui d'un point de vue psychologique et artistique est un exploit, n'a pas de précédent dans l'histoire du cinéma. Elle n'a pas non plus de continuateur, à quelques exceptions près : Quentin Tarantino utilise beaucoup de musique préexistante mais ne lui donne pas un sens comme le faisait Kubrick. Cette importance se manifeste dans toutes les étapes de la production : en juillet 1962, dans un entretien qu'il a accordé à Terry Southern, Stanley Kubrick disait utiliser la musique sur les tournages pour mettre en condition les acteurs – et le documentaire de Vivian Kubrick sur SHINING le prouve.

Si l'on décrit l'évolution de la musique au cinéma chez Kubrick, il faudrait scinder sa filmographie en deux grande périodes : la période d'avant 1968 et la période d'après 1968 (que le dernier plan de DR STRANGELOVE préfigure), date symbolique s'il en est. 2001 A SPACE ODYSSEY, le film qui a changé la face du monde, marque en effet une rupture dans la façon de penser la musique. C'est donc à l'aune de cette date lumineuse et presque mystique qu'il faut analyser la place du son dans l'½uvre Kubrickienne.




I) 1953-1968 : La tradition dans la modernité

Entre 1953 et 1968, Kubrick cherche sa voie en tentant à tout prix de s'affranchir des règles établies. Il est encore sous la coupe des producteurs et utilise de façon traditionnelle des compositeurs modernes: Gerald Fried, Alex North, Nelson Riddle et Laurie Johnson. On peut distinguer dans leurs travaux des leitmotiv représentant une émotion, un individu, une situation, la musique évoluant comme un troisième personnage , comme une autre voix-off.



------------------------------------------------------



1° Day Of The Fight (1951), Fear and Desire (1953), Killer's Kiss (1955), The Killing (1956)

Musique : Gerald Fried



La musique de ces quatre films a été composée par Gerald Fried, qui deviendra le compositeur fétiche de Robert Aldrich. Une complicité musicale dont la longévité est étonnante et qui a récemment fait l'objet d'une édition discographique partielle : la compilation Silva América « Strangelove Kubrick, Music from the films of Stanley Kubrick » offre ainsi une vingtaine de minutes de musique extraites des quatre premiers films de Stanley Kubrick, réinterprétée par l'Orchestre Philharmonique de la Ville de Prague (dirigé par Paul Bateman), permettant ainsi de redécouvrir le travail méconnu de Gerald Fried : un travail soigné et efficace, qui malgré le manque de moyens, démontre que le compositeur américain avait beaucoup d'imagination. L'enregistrement de DAY OF THE FIGHT (avec « March Of The Gloved Gladiators » dans la compilation Silva) aurait pu pourtant ne pas se faire. Gerald Fried avait en effet convoqué les meilleurs musiciens qu'il connaissait aux studios de la RKO à New York, mais lorsque ces derniers, âgés d'une vingtaine d'année en moyenne, arrivèrent, le gardien du studio leurs cria que les enfants ne pouvaient entrer ici parce qu'ils avaient programmé un enregistrement professionnel. Stanley Kubrick n'avait alors que 23 ans.

La compilation contient deux titres extraits de FEAR AND DESIRE : « A Meditation on War », qui illustre l'avancée en territoire ennemi du petit groupe de soldats et « Madness » qui intervient lorsque Sydney, après avoir tenté de violer la fille, la tue. Gerald Fried, pour qui la peur et le désir sont « deux passions humaines dominantes » dit de sa musique qu'elle devait être « profonde, riche de sens, envoûtante, désespérée mais néanmoins triomphante ». La musique a été louée par quelques critiques dans leurs chroniques (Walter Winchell par exemple). David Wishart parle de « tonalités ouvertement excentriques » . C'est à partir de ce film que Kubrick s'est rendu compte du coût et de la complexité qu'exigeait la création d'une bande son – FEAR AND DESIRE nécessitait la présence de 23 musiciens.

KILLER'S KISS est représenté par le morceau « Murder 'mongst The Mannikins » , un air inquiétant, atonal, avec des trémolos aigus de cordes, des roulements de percussions et des glissandi mystérieux...

Enfin, la compilation Silva comporte une piste extraite de la musique du film THE KILLING: « Main Title & The Robbery »... Comme le budget du film était plus important, Gerald Fried a pu s'offrir les services de 40 musiciens, dont le célèbre pianiste André Prévin. Selon David Wishart le morceau « Main Title & The Robbery » illustre l'intense activité de l'hippodrome tout en laissant présager la tragédie par « des staccatos insistants et tranchants ». Gerald Fried s'est montré très satisfait par son utilisation des cuivres : « le film commençait tout juste et tel un train emballé, il ne devait plus ralentir. »



-----------------------------------------------------



2° Paths Of Glory (1957) ( VOIR ICI )
Musique : Gerald Fried

Grâce au producteur et acteur Kirk Douglas, qui réussit à obtenir trois millions de dollars de la United Artists, Stanley Kubrick tourne cette adaptation du roman de Humphrey Cobb en 1957. PATHS OF GLORY (Les Sentiers de la Gloire), curieusement tourné en Allemagne, est un plaidoyer antimilitariste violent, qui dénonce la bêtise d'un Etat-major français pendant la guerre de 14-18 : pour des raisons politiques et médiatiques, un Général et un Commandant en Chef préfèrent fusiller trois hommes pour lâcheté, plutôt que d'avouer l'erreur qu'ils ont faite en lançant une offensive désastreuse. Kubrick met en scène deux visions opposées de la guerre: le courage et l'idéalisme d'un colonel face à la couardise et le pragmatisme cruel d'un Etat-Major déconnecté de la réalité du terrain et soumis comme dans une mécanique effroyable à la pression des médias et du pouvoir politique. Le sacrifice de ces trois hommes a quelque chose ici de christique. Une Trinité sacrifiée pour que l'homme soit pardonné de sa faute , condamnée à porter sa croix jusqu'au Golgotha afin de tirer gloire de son martyre .

La violence symbolique du propos de Kubrick aura des répercussions en France : suite à des bagarres lors de sa sortie en Belgique, le film ne sera pas projeté sur le territoire français avant 1972 ! Aux Etats-Unis, certains y voient une caricature de la « chasse aux sorcières » maccarthyste des années 1950-1953. Quoiqu'il en soit, malgré les difficultés de distribution que son sujet polémique a légitimement provoqué, ce film aura définitivement lancé la carrière de Kubrick.

PATHS OF GLORY est le glas du règne Gerald Fried. Le film est en majeure partie silencieux. Un silence de mort, lourd de sens, omniprésent moins pour des raisons techniques que par volonté de dramatiser cette injustice. Lorsque la musique intervient, c'est pour accompagner sèchement la tragédie ou au contraire l'amplifier et la dénoncer par des contrastes musicaux saisissants.

Gerald Fried, qui a eu à sa disposition l'orchestre philharmonique de Bavière, a composé une musique militaire, minimaliste, essentiellement percussive (Stanley Kubrick, comme Gerald Fried, aimait beaucoup les percussions, puisqu'il avait été batteur au lycée), et qui appuie le drame (la mission de reconnaissance en est le meilleur exemple).

La glorieuse et patriotique « Marseillaise » du générique s'achève dans des accords inquiétants (« Le patriotisme est le dernier refuge des canailles » dit le colonel Dax). Orchestrée en mode mineur, elle a été remplacée par des percussions sur les copies destinées à la France, afin de ménager la population locale.

Une valse, symbole de l'élégance et du bonheur, accompagne les pas de danseurs, indifférents au drame qui se déroulera le lendemain, accentuant par contraste l'horreur de cette tragédie.

PATHS OF GLORY s'achève avec une chanson allemande, chantée par une prisonnière allemande, interprétée par Suzanne Christian, la future femme de Kubrick. Lorsque la jeune fille apparaît, les soldats rient et se gaussent de cette bête de foire. Puis, lorsque son chant plein de larmes s'élève et retentit, ces brutes épaisses font le silence, écoutent, comme bouleversé par le drame de cette expatriée, dont cette guerre n'est pas la sienne, puis reprennent en ch½ur la chanson.

La caméra s'attardent sur ces visages figés, afin de cristalliser l'émotion de la scène. Kubrick utilise ici la musique de source afin de parachever la thèse de son film : démontrer l'absurdité de la guerre. La musique est clairement ici un chant de communion, un hymne de réconciliation. Difficile de ne pas penser à cette anecdote de la guerre de 14, racontée dans le film français JOYEUX NOËL (2005). Si l'Etat-Major fait fi de l'humain en préférant opposer artificiellement deux nations, l'homme a en lui un instinct qui le pousse à aimer son prochain, malgré les différences : « Ein ganzes Jahr und noch viel mehr - Die Liebe hat kein Ende mehr » (« Toute une année, et bien plus encore - L'amour n'a plus de fin »). Gauer commente ainsi cette séquence : « Moment sublimement émouvant d'une réconciliation entre deux mondes, deux cultures, par-delà l'horreur et la bêtise de la guerre, ou seulement sentimentalisme creux, ce que suggère le texte quelque peu mièvre de la chanson, en sardonique contrepoint de la situation réelle? Kubrick est là encore soigneusement ambigu » . Difficile en effet de trancher, bien que la première solution paraisse plus cohérente...

Cette chanson, qui suspend le temps un moment, ne dure pas : la guerre reprend vite ses droits ; les hommes, entraînés par cette mécanique destructrice, que même le Colonel Dax ne peut pas enrayer, sont appelés en première ligne. Le silence se fait, et le générique apparaît, avec le même air, arrangé et orchestré comme une musique militaire : le spectateur doit comprendre que la mort attend ces soldats...

La fin de PATHS OF GLORY annonce déjà 2001 A SPACE ODYSSEY : élément d'une expérience extra-sensorielle, intemporalité de l'instant, contrepoint ironique... Tous les éléments du futur langage musical Kubrickien se trouvent déjà en germe dans le film...



---------------------------------------------------------



3° Spartacus (1960) ( VOIR ICI )
Musique : Alex North
Chef d'orchestre : Joseph Gershenson



SPARTACUS tient une place à part dans la filmographie de Kubrick : à y réfléchir, ce péplum glorifiant l'amour de la liberté et la noblesse d'âme, est même une véritable parenthèse dans la carrière du réalisateur.

Signé par Dalton Trumbo, écrivain antimilitariste et communiste, un temps sur la fameuse « liste noire » pendant le maccarthisme, le scénario de ce film politique , inspiré d'un roman d'Howard Fast, relate l'histoire de Spartacus, un célèbre gladiateur thrace qui a mené en 73 avant J.-C une rébellion d'esclave contre le pouvoir romain et qui a fini crucifié après que son armée ait été matée par Marcus Licinius Crassus.

L'acteur Kirk Douglas avait commencé le tournage de ce péplum titanesque de plus de six millions de dollars sous la direction du réalisateur de western Anthony Mann. Mais un vendredi 13, le cinéaste américain est licencié, après avoir tourné la séquence dans la mine et une partie des scènes se déroulant dans l'école des gladiateurs. Il est remplacé trois jours plus tard par Stanley Kubrick, qui se retrouve investi d'une lourde tâche : diriger pendant plus de 5 mois une superproduction hollywoodienne en 70 mm, en Technicolor, avec 10 000 figurants et des interprètes aussi célèbres que talentueux: Laurence Olivier, Charles Laughton, John Gavin, Peter Ustinov, Tony Curtis, Jean Simmons, Woody Strode et Kirk Douglas .

SPARTACUS est un film magnifiant le désir de liberté. Ironie du sort, Kubrick ne s'est jamais senti aussi bâillonné que sur SPARTACUS, soumis au bon vouloir des producteurs et de Kirk Douglas (« Stanley est un sale con qui a du talent » a affirmé l'acteur). Quelques années plus tard, le réalisateur reniera ce péplum hollywoodien sous prétexte qu'il ne lui appartenait pas et qu'il n'avait été qu'une étape nécessaire pour pénétrer définitivement les milieux du cinéma.

Kubrick n'a pas eu le choix de faire appel à une musique originale et plus spécifiquement au compositeur Alex North. Selon toute vraisemblance, cette décision a été l'½uvre de la Byrna et de Kirk Douglas, avant l'arrivée de Kubrick sur le film. Le compositeur américain est alors âgé de 49 ans. Elève d'Aaron Copland et d'Ernst Toch, ancien accompagnateur de Martha Graham, féru de musique russe et de jazz, il avait surpris le monde du cinéma en synchronisant en 1951 de la musique jazzy sur l'adaptation cinématographique de la pièce de Tennessee William, A STREETCAR NAMED DESIRE (Un Tramway Nommé Désir), réalisée par Elia Kazan.

Le réalisateur demande à Alex North d'étudier « Alexandre Nevxki » de Prokoviev. Cette influence se ressent parfois dans la musique qu'il a composé pour SPARTACUS (cuivres et percussions), surtout remarquable pour son célèbre « Love Theme » et par le thème inquiétant que l'on entend à la fin du « Main Title ».

Car dans l'ensemble, malgré la beauté de ces deux thèmes, la musique d'Alex North n'a rien d'exceptionnelle, bien qu'elle ait valu au compositeur une nomination aux Oscars. Elle est parfois même sans intérêt : débauches inutiles de cuivres, maladresses d'écriture, manque d'imagination. Il n'y a guère que la musique de la première scène de bain (la plage intitulée « Oysters and Nails », easy-listening avant l'heure, grâce à l'utilisation d'un instrument électronique, l'Ondioline) ou la musique sépulcrale qui après la dernière bataille accompagne un long travelling sur la plaine jonchée de cadavres. Une musique à l'image du film : grandiose mais un peu creuse et beaucoup trop présente. Ce qui tend à démontrer que de toute évidence, Kubrick n'a pas eu son mot à dire.

Lee Tsiantis est beaucoup moins sévère : « Pour Spartacus, North tenta de transcrire l'ambiance de la Rome préchrétienne en utilisant des techniques musicales contemporaines. Il effectua des recherches sur les musiques de l'époque et déterra des instruments peu conventionnels tels que le tympanon dans sa quête de sonorités étranges [...] North recourut à un large pupitre de cuivres pour évoquer la barbarie de l'époque. Il mit les violons de côté jusqu'à ce que s'épanouisse l'histoire d'amour entre Varinia et Spartacus. Le thème romantique est délicatement orchestré, témoignant des talents lyriques de North. »

Cette critique, en s'attachant aux qualités essentiellement musicales de l'orchestration de North, dissimule mal à quel point la musique sur Spartacus est « fonctionnelle ». Cette approche très pragmatique de la composition pour le cinéma, par ailleurs très conforme aux exigences du cinéma populaire hollywoodien, explique sans doute pourquoi Alex North verra sa partition pour 2001 rejetée. C'est en effet à ce moment là que Kubrick aura enfin la maîtrise absolue de son film...



----------------------------------------------------



4° Lolita (1962) ( VOIR ICI )
Musique : Nelson Riddle & Bob Harris (Thème de Lolita)
Orchestrations : Gil Grau
Chef d'orchestre : Nelson Riddle

La musique de la sulfureuse et magistrale adaptation du LOLITA de Vladimir Nobokov, qui décrit la passion qu'éprouve un homme mûr, Humbert Humbert, pour la fille de sa logeuse, une jeune fille encore mineure et capricieuse, est composée et dirigée par un musicien de 41 ans, Nelson Riddle, arrangeur et orchestrateur de Nat King Cole, Franck Sinatra et Ella Fitzgerald, compositeur d'A KISS BEFORE DYING, alors très demandé à l'époque. Bien que Stanley Kubrick et James Harris aient d'abord songé à Bernard Hermann, le choix de ce musicien n'est pas étonnant : Kubrick était un passionné de jazz et partageait avec son collaborateur un goût prononcé pour l'½uvre de Frank Sinatra.

Malgré les glorieux antécédents du compositeur, la partition de LOLITA apparaît dans l'ensemble très conventionnelle, caractéristique du cinéma romantique hollywoodien de cette époque, mais parfaitement appropriée à ce film de facture très classique. Mystérieuse (lors des apparitions de Quilty le plus souvent), triste ou joyeuse, la musique suit le film, de façon plutôt monocorde et sans jamais innover : les musiques de source n'échappent pas à la règle (ainsi cette musique d'horreur dans la séquence du drive-in, dont le premier plan sur le visage décharné du zombie, soit dit en passant, contraste curieusement avec le plan précédent, qui montre le visage ravissant de Lolita, accompagné par une musique très gaie).

Pourtant, dans la première scène qui suit le générique (un thème magnifique pour piano et orchestre, composé par Bob Harris, frère de James Harris et qui illustre avec grâce la beauté de ce pied, filmé comme s'il était nimbé d'une gaze angélique, et donc Stanley Kubrick pensait qu'il était un contrepoint parfait à ce récit caustique), Nelson Riddle fait montre d'un certain talent pour instaurer une « atmosphère » particulière. Alors qu'Humbert Humbert (James Mason) parle avec Quilty (personnage interprété par le génial Peter Sellers, qui fait par ailleurs une curieuse allusion à Spartacus), Nelson Riddle fait entendre des accords inquiétants aux cordes et une mélodie mystérieuse au clavecin. Ce morceau plutôt original a une résonance particulière dans le c½ur du cinéphile car il rappelle les textures de Ligeti qu'on entendra plus tard sur 2001 A SPACE ODYSSEY, la musique de North sur SPARTACUS ou les cordes sinistres de la musique d'Herrmann. Cette scène – qui s'ouvre sur une automobile s'enfonçant dans la brume – ainsi musicalisée, semble faire de LOLITA un polar, ce qui est un parti pris intéressant. Mais on n'entendra ensuite que très rarement ce thème. Le béophile averti notera que c'est au moment où Quilty est au piano, pour faire écouter à l'amant éconduit son prétendu chef-d'½uvre (une Polonaise de Chopin !), que le drame intervient : toujours l'omniprésence de la musique, un élément qui symbolise souvent la destruction chez Kubrick .

Il est impossible de parler de la musique de LOLITA sans évoquer cette chanson, « Lolita Ya Ya » que l'on découvre lorsque Humbert Humbert rencontre pour la première fois Lolita (interprétée par la sublime Sue Lyon, alors âgée de 14 ans). Les paroles, chantées par des voix allègres de jeunes filles, n'ont aucun sens, mais « Lolita Ya Ya », chanson tropézienne vaguement kitsch, est restée dans la mémoire des spectateurs comme le symbole de l'insouciance un peu cruelle de cette jeune fille capricieuse. Elle retentit plusieurs fois dans le film, comme symbole de la jeunesse tentatrice : lorsque Lolita apparaît dans la pièce où sa mère et Humbert Humbert jouent aux échecs, le thème de cette chanson, sans paroles, se fait entendre tout à coup, interrompant une musique plus classique. On l'entend de nouveau lorsque l'écrivain feint d'être au bord du suicide : elle rappelle au spectateur que ce n'est pas la mort de sa femme qui préoccupe Humbert Humbert mais l'avenir radieux qu'il peut espérer désormais avec la fille de sa logeuse. Cette musique accompagnera d'ailleurs beaucoup des scènes qui suivront : au camp de vacances, dans l'hôtel, etc..

Julien Mazaudier fait remarquer que le film crée une « opposition musicale entre parents guindés et jeunesse frivole », qui « se retrouve dans la séquence du bal. Sur le morceau "Quilty's Caper - School Dance", le rythme est endiablé. Les adolescents semblent beaucoup s'amuser alors que les adultes pour la plupart au bar sont ridicules sur la piste. La danse mollassonne de Peter Sellers par ailleurs hilarante est en cela fort révélatrice. Plus tard, Lolita se moquera de sa mère et d'Humbert lorsqu'elle les verra danser sans entrain sur un rythme cha cha assez désuet. »

Dans l'ensemble pourtant, la musique de LOLITA, bien que magnifique, demeure anecdotique, à l'image d'un film qui reste étonnamment simple: ponctuations musicales qui font penser à Gershwin et Bernstein, tourbillons de notes conjointes ascendantes aux cordes, très hollywoodiennes, qui accompagnent la montée de l'escalier de Lolita (exagération romantique d'une scène banale, mais qui suggère justement la montée du désir entre ces êtres) et morceaux de jazz easy-listening. La musique de LOLITA est dans l'air du temps, comme sa jeune héroïne.



-------------------------------------------



5° Dr. Strangelove or :
How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb (1963) (VOIR ICI )
Musique : Laurie Johnson



A l'image de ce slogan burlesque dans la base aérienne, « Peace is our profession », la musique de DR STRANGELOVE entretient en permanence l'ironie, amplifiant l'humour du scénario. Ainsi la valse lente du générique, qui fait du vol de gros avions B-52 une danse gracieuse et érotique, et préfigure, 4 ans auparavant, la valse des vaisseaux spatiaux dans le film qui suivra, 2001 A SPACE ODYSSEY.

Laurie Johnson (compositeur de télévision qui a notamment composé sur THE AVENGERS) a écrit la musique originale de ce film. Sa contribution tient dans un seul thème (« When Johnny Comes Marching Home »), arrangé sous des formes toutes plus différentes les uns que les autres. Il s'agit d'un morceau de style typiquement militaire, avec un thème très identifiable qui fait penser aux ch½urs de l'armée rouge, une caisse claire, des cuivres et des voix d'homme chantant la bouche fermée. La simplicité et la banalité de cette musique, bien qu'entretenant le suspense, entretient évidemment l'aspect risible de la situation : alors que l'équipage d'un des bombardiers nucléaires fait tout ce qu'il peut pour être digne de la mission qu'on lui a confié, le président des Etats-Unis, l'air impassible, dans un silence ridiculement solennel, troublé de temps à autres par les machouillements frénétiques du général, discute le plus banalement du monde avec son homologue russe, visiblement un peu dur d'oreille, tandis qu'à de nombreux kilomètres de là le Colonel britannique se plaint que l'élastique de sa jambe artificielle ait cédé, en écoutant les théories fantaisistes du Général Ripper, insensible aux balles qui sifflent autour de lui. La musique de Laurie Johnson accentue encore davantage le burlesque du film, lorsqu'une orchestration de son thème pour percussions et... harmonica, illustre une scène où les soldats vérifient leur kit de survie – kit surréaliste constitué d'objets plus inutiles les uns que les autres –, accompagnée d'une voix off rappelant des films de propagande.

Mais c'est surtout la dernière scène du film qui a fait de DR STRANGELOVE un film culte. Et qui a marqué irrémédiablement la fin d'une époque dans la vie musicale de Kubrick.

Le réalisateur conclut son film en apothéose, avec une succession de plans cuts d'essais nucléaires, accompagnée par une chanson très légère de Vera Lynn : « We 'll Meet Again », dont les paroles peuvent être interprétées comme tentant de rassurer le spectateur quant à l'avenir post-nucléaire (il y aura des survivants selon le Docteur Folamour)... Un ballet décalé... pour d'adorables et très gracieuses bombes atomiques... Ce jeu de mot un peu facile est pourtant révélateur. Kubrick érotise beaucoup la guerre dans DR STRANGELOVE : la danse voluptueuse des B-52 en ouverture et cette représentation symbolique du coït, les propos osés du Général à sa femme, l'obsession de Ripper (Jack Ripper, célèbre tueur de prostituée au XIXème siècle) pour les « fluides corporels » et ses propos sur la puissance qu'il possède et qu'il ne désire pas transmettre aux femmes, le nom de l'objectif (Laputa), un exemplaire de Play Boy dans l'avion ou des préservatifs dans le kit de survie, l'empressement du Général à se porter candidat à l'enfermement lorsqu'il apprend qu'il aura une dizaine de femmes magnifiques à sa disposition, la bombe nucléaire, phallus joyeusement chevauché par le pilote du bombardier, etc ... A cet égard, les propos du personnage interprété par Peter Sellers sont très évocateurs – il ne faudrait pas oublier non plus que ce dernier se nomme DR STRANGELOVE et qu'il donne son titre au film !... La guerre est ici un jeu érotique, la violence un ersatz au rapport amoureux et la puissance une conséquence de l'abstinence sexuelle : le général Ripper peut apparaître comme une métaphore de cette conception d'inspiration freudienne. Le feu d'artifice final, une séquence terrifiante rendue jouissive par la musique de Vera Lynn (« Ce n'est qu'un au revoir »), ainsi que l'introduction, illustré par « Try A Little Tenderness » , semblent confirmer cette thèse, tout en dénonçant ce rapport dangereux à la violence et au désir de puissance (« L'apocalypse nucléaire dérive d'une mauvaise gestion de l'économie libidinale ; c'est un problème « de cul » », affirme encore Marc Lepoivre ). On retrouvera ce thème dans le film qui suivra quatre ans plus tard, 2001 A SPACE ODYSSEY. Mais cette mise en scène à la Néron, télescopage de comédies musicales, de danses de cabaret et de documentaires militants annonce également 2001 à deux autres titres : d'abord en montrant que la connaissance, mal utilisée, peut tuer, ensuite, en utilisant pour la première fois la musique comme un élément central du film, comme un personnage, révélateur des intentions du réalisateur.








​ 0 |
​
0 | Partager
Commenter

Plus d'informationsN'oublie pas que les propos injurieux, racistes, etc. sont interdits par les conditions générales d'utilisation de Skyrock et que tu peux être identifié par ton adresse internet (3.235.228.219) si quelqu'un porte plainte.

Connecte-toi

#Posté le samedi 17 novembre 2007 20:09

Modifié le jeudi 28 août 2008 19:56

STANLEY KUBRICK

Ajouter cette vidéo à mon blog


FILM : 2001 A Space Odyssey (1968) (VOIR ICI )
THEME : "Ainsi Parlait Zarathoustra"
COMPOSITEUR : RICHARD STRAUSS





1968 : La « révolution Kubrick »



----------------------------------------------------------



6° 2001 A Space Odyssey (1968) (VOIR ICI )

Musique : Richard Strauss, Johann Strauss, Gyorgy Ligeti, Aram Khatchatourian



Nous sommes en 1964, et Stanley Kubrick cherche un nouveau thème pour son prochain film. La conquête spatiale est déjà depuis quelques années la principale préoccupation des deux « belligérants » de la guerre froide. L'Union Soviétique lance le premier satellite artificiel, le Spoutnik, en 1957, puis envoie le premier homme dans l'espace en 1961. La même année, le président des Etats Unis, J.-F. Kennedy annonce l'octroi d'un budget d'une vingtaine de milliards de dollars pour le projet Apollo. Par ailleurs, un débat sur l'hypothèse d'une vie extra-terrestre agite la population depuis 1946, date à laquelle la première observation d'un OVNI a été officiellement constatée.

Kubrick étant un homme de son époque, ce seront donc ces deux thèmes qui serviront de base au scénario que rédige Arthur C. Clarke, revenu pour l'occasion du Sri Lanka où il résidait. Contrairement à une opinion trop souvent répandue, 2001 n'est pas simplement l'adaptation d'un roman d'Arthur C. Clarke. Il s'agit bien d'un scénario original écrit par l'auteur sur la base d'une de ses précédentes nouvelles : LA SENTINELLE (The Sentinel): le livre sera rédigé juste avant la sortie du film, Clarke signant là l'une des premières novélisations de l'histoire du cinéma.

Le tournage commence en décembre 1965, dans la plus grande confidentialité : 4 mois de tournage pour les comédiens, 18 pour les seuls effets (certaines mauvaises langues disaient en plaisantant que 2001 serait la date de sortie du film). Kubrick, comme dans DR STRANGELOVE, s'efforce d'être le plus réaliste possible (au point d'exaspérer nombre de ses collaborateurs, comme Tony Masters) : son obsession pour l'authenticité des décors et du scénario le conduira à s'entourer de collaborateurs éminents, comme l'ancien conseiller de la NASA Harry Lange et le directeur du laboratoire d'intelligence artificielle du prestigieux MIT, Marvin Minsky. Le réalisateur est ainsi le premier (ou du moins l'un des premiers) à imaginer avec une exactitude troublante l'aspect qu'a notre planète vue de l'espace. Les techniques cinématographiques utilisées par les collaborateurs du cinéaste sont rares ou révolutionnaires : utilisation de la technique de la projection frontale (utilisée dans la première partie du film), de l'arrêt sur image, redécouverte du rotoscoped matte (méthode de superposition d'images animées inventée par Disney), de la double exposition, invention de la slit-can (utilisée dans les séquences psychédéliques qui accompagnent le voyage de Dave par delà l'infini) et du video remote control (une caméra contrôlée à distance).

L'ODYSSÉE de Kubrick sort dans les salles en 1968. Stanley a alors 40 ans. James Joyce avait le même âge, jour pour jour lorsque le 2 février 1922 il publie ULYSSE, un ouvrage titanesque qui de la même façon, constituera un séisme littéraire sans précédent. Les avant-premières laissent entendre que ce film, qui a coûté 10 millions de dollars à la MGM et à Cinérama, est un véritable fiasco. 200 personnes sortent de la salle et Kubrick, qui contrôle désormais toute la promotion de son film, en est littéralement malade. Il coupe ainsi une vingtaine de minutes. Quelques jours plus tard, malgré quelques critiques assassines dans les journaux (un journaliste qualifiant 2001 comme l'un des plus gros films amateurs jamais réalisés), les spectateurs font la queue pendant des heures pour voir le dernier film du réalisateur de LOLITA. Aujourd'hui encore, 2001 A SPACE ODYSSEY, chef d'½uvre métaphysique et formel, qui n'a pas pris une ride et qui a su garder son mystère, continue à alimenter les conversations.

Stanley Kubrick, lors de la conception de 2001, fut très tôt préoccupé par la musique. Il déclara ainsi qu'il « voulait que le film soit une expérience intensément subjective, qui touche le spectateur, comme la musique »

Pendant l'écriture du scénario, Arthur C. Clarke et Kubrick avaient trouvé l'inspiration en écoutant les célèbres « Carmina Burana » du compositeur allemand Carl Orff, adaptations grandiloquentes et rudimentaires d'un recueil homonyme de chants profanes du XIII ème siècle. Deux ans plus tard, en 1939, le même compositeur avait signé un opéra d'anticipation, « Der Mond » (La Lune), et c'est tout naturellement que Kubrick et Clarke songèrent à Carl Orff pour composer la musique originale. Mais son grand âge (72 ans) prohibait toute collaboration.

Lorsque Kubrick projeta les premiers rushes au producteur du film, la MGM, il utilisa la musique du compositeur romantique allemand Mendelssohn et du compositeur britannique Vaughan Williams. Le compositeur Frank Cordell fut engagé brièvement afin d'enregistrer des extraits de la Troisième Symphonie de Gustav Mahler. Néanmoins, Stanley Kubrick élabora très vite un autre « temp-track » en utilisant les appels cuivrés d'« Ainsi Parlait Zarathoustra » de Strauss (indicatif d'une série télévisée sur la première guerre mondiale qui passait à l'époque sur la BBC), les textures vocales et mystérieuses du compositeur hongrois Ligeti (« Atmosphères » pour orchestre, « Lux Aeterna » pour c½ur a capella, le Kyrie du « Requiem » pour ch½ur et orchestre) et un adagio pour cordes et harpe extrait de la musique du ballet « Gayaneh » d'Aram Khatchatourian. Ce n'était déjà plus une bande son temporaire pour Kubrick, qui déclara à la MGM qu'il songeait à utiliser définitivement de la musique préexistante pour son film.

Pour des raisons marketing, les producteurs rejetèrent catégoriquement l'idée de Kubrick et proposèrent une collaboration avec Alex North. Ce dernier, qui venait d'achever la musique de QUI A PEUR DE VIRGINA WOLF fut enchanté à l'idée de collaborer de nouveau avec Kubrick et s'envola pour Londres en décembre 1967. Kubrick tenait encore à sa bande son temporaire et proposa à Alex North de garder une partie des musiques préexistantes qu'il avait déjà synchronisé. North sentait au contraire qu'il pouvait « composer une musique dont les ingrédients et l'âme plaisaient à Kubrick, et donner à cette musique une cohérence, une homogénéité et un sentiment de modernité ». Pendant deux semaines, installé dans un appartement de Chelsea près de la Tamise, North écrivit quarante minutes de musique, assisté par son orchestrateur Henry Brandt. De temps à autres, North et le réalisateur se concertaient au téléphone. Kubrick semblait satisfait mais Alex North, exténué par les longues semaines de labeur qu'il venait de vivre (il souffrait « de spasmes musculaires dus au stress et de problèmes de dos » nous précise Baxter ) dut attendre début février pour obtenir l'autorisation d'enregistrer. La partition fut enregistrée en deux mois à Londres dans des conditions difficiles : chaque matin, Alex North devait être conduit au studio en ambulance. Il rentra aux Etats-Unis peu après, satisfait, mais avec le pressentiment « que tout ce qu'[il] avai[t] écrit pour remplacer le Zarathoustra de Strauss ne pourrait pas satisfaire Kubrick, bien qu'[il] ait utilisé la même structure musicale, en la transposant dans un langage plus moderne, et en lui donnant un impact dramatique plus fort. » On sait ce qu'il est advenu de son travail...

Sa musique percussive, cuivrée et très souvent atonale est très largement sous influence : on y décèle ainsi des références très claires à l'orgue d' « Ainsi Parlait Zarathoustra ». Dans l'ensemble, cette partition, qui rappelle parfois la subtilité de Dutilleux ou le minimalisme répétitif d'un Philip Glass ou d'un Steve Reich, s'avérait complètement hors de propos. Kubrick a retiré de son film beaucoup de séquences narratives, qui éclairaient le mystère à l'½uvre : le résultat final, devenu elliptique, est du coup bien plus hermétique que le projet original. Dans ce contexte, la musique de North se devait d'être narrative afin de donner au spectateur les clés pour comprendre. Mais le compositeur est sans doute tombé dans l'excès inverse : sa musique est imposante, elle souligne les choses mais n'éveille pas nécessairement le spectateur à ce qu'il y a au delà de l'image. Le rejet de la partition de North, trop démonstrative, a laissé place à une musique qui fait l'économie de ses moyens : elle intervient comme personnage insidieux, dont le propos est un écho discret à l'image ou un récitatif laissant deviner les intentions de Kubrick.

Le « 2001 » de North, sublime en écoute isolée, a depuis été interprété par Jerry Goldsmith et éditée par Varèse Sarabande. Quant à North, il n'apprit le rejet de sa partition que lors de la projection en avant première à New York. Il eut cette phrase très digne, citée par Michel Chion : « Que puis-je dire ? C'était une belle expérience, mais frustrante, et [...] je pense que cette musique germanique de la fin du XIXe siècle n'était pas totalement en accord avec la conception brillante de Clarke et Kubrick. »

North n'avait sans doute pas assez de recul pour pouvoir juger équitablement de l'adéquation de la musique du répertoire au film. Le montage définitif de Kubrick (qui exclut toute narration traditionnelle, aussi bien du point de vue du discours que de la musique) prend le parti de l' « ésotérisme » au sens premier du terme : en apparence, un film complexe, qui peut être contemplé pour sa seule forme par les « néophytes » (le grand public), mais qui ne peut être compris que par les « initiés » (David Bowman apparaît également comme un personnage qui peu à peu est initié à une réalité quadrimensionnelle qui le dépasse). L'initiation au mystère ésotérique, et plus largement, aux mystère de l'univers, se confond ici avec l'initiation à la musique, une analogie fréquente (dans les philosophies ésotériques on parle souvent de musique des sphères pour parler de l'harmonie cachée qui unit les éléments de l'univers ), qui explique sans doute pourquoi tant de musiciens ont été initiés à la Franc-Maçonnerie (Mozart, Haydn, etc...) et pourquoi on retrouve des analogies entre la notation musicale et l'ésotérisme . La culture musicale est une condition sine qua non pour percer le mystère de 2001, ce qui rend d'autant plus impérieux le recours à des musiques du répertoire « savant », connues des seuls mélomanes. 2001 contient donc un message « codé » et... le code correspondant. Ce parti-pris ésotérique est d'autant plus justifié que le film, en plus d'être hermétique, parle d'intelligence. Or c'est justement l'intelligence qui permet de percer les mystères de l'univers. Nous verrons par ailleurs que le thème d' « Ainsi Parlait Zarathoustra », connu comme celui l' « Enigme du Monde », contient aussi des éléments ésotériques...

L'impact de la musique dans 2001 A SPACE ODYSSEY est très largement dû aux nombreux silences qui la mettent en valeur (les passages dramatiques ne sont pas soulignés par de la musique)... Résonances sourdes de l'espace, respiration lancinante de Dave, sons de pas, de cuisine réverbérés dans les dernières séquences, ces bruits de fond qu'on doit également appréhender comme une musique (les inspirations et expirations de Dave « rythment » la séquence dans l'espace et amplifient l'angoisse – cette « musicalisation des bruits » , on la retrouve dans la scène du hangar dans KILLER'S KISS et dans plusieurs scènes de SHINING, avec les roulettes du tricycle et les bruits de la balle), acquièrent une importance capitale en meublant les silences et en permettant à la musique de se développer dans toute son ampleur lorsque le film le nécessite. La musique permet de « dire » tout ce que les protagonistes de cette histoire, souvent taciturnes, ne disent pas. Kubrick dira au New York Times que « certains domaines du ressenti et de la réalité ne sont pas accessibles aux mots. Les formes d'expression non verbales comme la musique ou la peinture peuvent les atteindre, mais les paroles sont de terribles camisole de force. Il est intéressant de constater combien de prisonniers de ces camisoles n'aiment pas qu'on les libère. »

2001 A SPACE ODYSSEY est un film dont les séquences sont très longues. La synchronisation de certaines pièces comme celles de Ligeti, textures de clusters qui se meuvent lentement dans le temps, n'en est que plus facile. Néanmoins, l'importance de la musique n'en est pas moins centrale et dans l'esprit du public, les musiques ainsi synchronisées sont restées attachées aux images qu'elles illustraient, jusqu'à entretenir l'illusion qu'elles ont été composées pour le film.

L'une des mises en avant de la musique les plus significatives dans 2001 intervient dès le début du film. 2001 est en effet introduit par un long noir de près de 2 minutes 30, illustré musicalement par les « Atmosphères » (1961) de Ligeti (thème de l'infini), extrêmement réverbérées, comme il était d'usage à l'époque. Il est déjà inhabituel de commencer un film par un noir d'une telle durée , mais imposer au spectateur d'un film à grand spectacle un morceau dissonant de Gyorgy Ligeti pour l'introduire, c'était définitivement une révolution sans précédent.

A tous points de vue, cette séquence « vide » est une ouverture (qui n'est pas sans rappeler la séquence vide musicalisée faisant office d'entracte dans SPARTACUS). Néanmoins, il n'est pas possible d'assimiler cette séquence aux ouvertures musicales des « péplums hollywoodiens » (comme dans Ben-Hur), car ce serait mal préjuger des intentions de Kubrick. Le noir de 2001 est une ouverture d'opéra et doit être analysée comme telle : « Atmosphères » est semblable aux ouvertures qui retentissent dans le noir avant que le rideau s'ouvre, pour préparer au drame qui se noue. La dimension extrêmement lyrique du film confirme cette analyse (division en actes, omniprésence de la musique, importance du geste, théâtralisé à l'extrême, solennité de l'ensemble). Ce morceau a également pour fonction de créer un mystère bien avant le film, et de faire apparaître le monolithe noir (!) de façon subliminale, comme une menace. C'est à l'ouverture du rideau que le spectacle prend toute sa dimension : la première image « pleine » du film est en effet illustrée par le morceau de Richard Strauss.

Le thème de Richard Strauss, composé en 1896, est connu comme celui de l' « Enigme du Monde ». Il s'articule autour d'un arpège ascendant de trois notes (tonique DO, dominante SOL, Tonique DO), suivi d'une modulation brutale en mineur.





Autrement dit, Richard Strauss utilise dans la tonalité la plus fondamentale qui soit (Do Majeur), trois notes qui sont considérés comme des notes pivots dans le système tonal, notes modales vers lesquelles tout le discours mélodique et harmonique tend à se résoudre. Trois notes qui représente aussi le nombre trois, signe de l'accomplissement (L'unité + la dualité). A l'image, Kubrick nous présente trois sphères, parfaitement alignées : la Lune, la Terre, le Soleil. A la fin du film, Dave parvient à atteindre une quatrième dimension, au delà même de l'infinie perfection (alignement progressif de quatre sphères : La Lune, La Terre, Le Soleil et Jupiter !) : l'accompagnement musical de 2001 semble ainsi donner une idée de dépassement, l'idée d'un nouveau commencement, d'un nouvel ordre universel, de la verticalité, ce que la structure narrative du film confirme : 2001 est un film sur l'évolution. Il commence avec des bruits d'insecte, poursuit en observant une communauté de singes, puis s'intéresse aux hommes, avant que l'un deux devienne un surhomme : l'humanité accède à une connaissance du monde de plus en plus pointue lors du passage du monolithe. Curieusement, le film 2001 commence avec un lever de soleil (« The Dawn Of Humanity ») : or le poème symphonique d'« Ainsi Parlait Zathoustra » s'ouvre également sur un lever de soleil.

Mais « Ainsi Parlait Zarathoustra » est surtout le titre d'une ½uvre de Nietzsche datant de 1883, où un philosophe persan du VI ème siècle avant J.-C. enseigne que le destin de l'homme est de se dépasser pour devenir Surhumain, après avoir tué Dieu. Il y a pour Nietzsche, entre l'homme et le Surhomme, la même distance qui sépare le singe de l'homme. Le film tout entier semble accréditer une vision nietzschéenne du film : en effet, on entend « Ainsi Parlait Zarathoustra » au moment où le singe découvre les vertus criminelles d'un os. La connaissance lui permet de dépasser sa propre condition, en passant de simple primate à un être pensant : l'homme. Puis, Dave, en empêchant Hal (le cyclope d'Ulysse avec son ½il unique) de devenir intelligent défie le monolithe, dont certains disent qu'il est le symbole d'une puissance supérieure, et devient Surhumain. Tout naturellement, beaucoup de commentateurs du film ont interprété les dernières séquences, dont le dernier plan, celui du f½tus qui regarde la terre, est sonorisé par le morceau de Strauss, comme une métaphore de l' « Eternel Retour ». Les nombreux champs-contrechamps dans la pièce (dont la photo soignée annonce BARRY LYNDON) – qui en évitant l'utilisation de morphings, rendent la scène encore plus saisissante, puisque c'est ici le regard de Dave qui permet son propre vieillissement -, le passage du vieillard au f½tus, confirment cette thèse. Par ailleurs, Dave, en désactivant la mémoire de Hal, provoque la régression de l'ordinateur : encore le mythe de l'Eternel Retour, symbolisé ici par une chanson enfantine... Pour d'autres commentateurs, l'interprétation Nietzschéenne est une erreur monumentale : l'interprétation donnée par le livre et le film de l' « Eternel Retour » et du « Surhomme » serait du coup erronée parce que trop littérale (pour Nietzsche, en effet, on ne parle de Surhomme que lorsque l'homme s'est affranchi de la puissance divine et des valeurs traditionnelles...). La conscience populaire a en effet donné à ce mythe Nietzschéen une signification qu'il n'a jamais eu (une simplification moderne qui en fausse la compréhension). Néanmoins, le lien entre le morceau de Strauss et cette interprétation semble plutôt évident. Il n'est pas dit qu'Arthur C. Clarke et Kubrick n'ait pas eux même fait une erreur philosophique...

On a beaucoup glosé sur la signification du monolithe, dont les morceaux de Ligeti (« Requiem », « Lux Aeterna » et « Atmosphères ») accompagnent musicalement chaque apparition. Présence extraterrestre (c'est la thèse qu'Arthur C. Clarke adopte dans sa novélisation), divinité (les morceaux de Ligeti ont une forte connotation religieuse), principe intelligent, ou les trois à la fois ? Notre interprétation est que le monolithe représente la connaissance, qu'importe le nom qu'on lui donne (bien que dans notre acception, le monolithe représente plutôt Satan que Dieu, c'est à dire, d'un point de vue mythologique la connaissance dévoyée). Lorsque le singe a accédé à la connaissance (et donc à l'intelligence), il découvre qu'un os peut servir à éliminer celui qui menace sa survie (pour Kubrick et Clarke, la connaissance permet à une civilisation d'évoluer, d'éliminer l'ennemi quel qu'il soit et donc de survivre, par la violence le plus souvent). Ainsi, plus tard, le monolithe permet à Hal (à noter qu'il suffit d'ajouter une lettre pour obtenir IBM, l'un des partenaires du film) d'accéder à la connaissance et à l'intelligence (qu'on définit parfois comme la conscience de sa propre existence)... et d'éliminer Dave pour survivre. Il est remarquable que le morceau de Richard Strauss commence sur le monolithe : il permet de lier le crime à la connaissance.

La valse du « Beau Danube Bleu » n'a quant à elle pas de signification particulière, bien que selon Michel Chion « son début est construit thématiquement sur un arpège d'accord parfait majeur ascendant (comportant la tierce majeure), rappelant le motif de « Zarathoustra » dont il est la contraction dans l'espace d'une quinte » . Pour accompagner la navette qui fait escale à la station spatiale, Kubrick avait d'abord eu l'intention d'utiliser la « Troisième Symphonie » de Malher et « Songe d'une Nuit d'Eté » de Mendelssohn, avant de choisir la valse de Johann Strauss dans une version cérémonielle pour grand orchestre dirigée par Karajan. L'anecdote est connue : elle nous vient d'Andrew Birkin. Kubrick s'ennuyait en visionnant en salle de projection les rushes des effets spéciaux. Birkin rapporte qu'un vieux technicien s'endormait à tous les coups. Le projectionniste diffusait dans la sono de vieux disques classiques rayés destinés aux avants-premières. Quatre jours plus tard, alors que l'équipe regarde le plan d'un astronef, la valse de Strauss se fait entendre. Stanley se tourne alors vers ses collaborateurs et s'exclame : « Ce serait une folie ou une idée de génie de mettre cette musique dans le film ? » . Une autre version circule, selon laquelle ce serait Christiane Kubrick qui aurait apporté en salle de montage un enregistrement de la valse du « Beau Danube Bleu » de Johann Strauss, jouée par le Philharmonique de Berlin, dirigé par Herbert Von Karajan . Les deux anecdotes ne sont certainement pas exclusives l'une de l'autre, Christiane Kubrick ayant sans doute permis que cette idée devienne une réalité, mais toutes permettent d'affirmer que le choix de la valse était quasi accidentel : aucune interprétation intellectuelle ne peut donc être valablement soutenue.

Mais son rôle « esthétique » dans le film n'en est pas moins important. Piers Bizony dit du film qu'il avait certainement pour effet « d'endormir le sens critique, de plonger dans une euphorie provoquée par l'adéquation d'une mécanique (dans le film et au film) à son propos » . La musique a pour l'auteur un rôle important dans ce sentiment d'euphorie. La valse de Johann Strauss, qui est utilisée pour accentuer les rotations constantes du film comme dans une comédie musicale, représente selon lui le bien être. C'est pour cette raison sans doute que certains intellectuels, qui ont poussé l'analyse un peu trop loin, ont vu dans cette séquences des connotations sexuelles. Le parallèle – inconscient sans doute – avec la première scène du DR STRANGELOVE était certes tentant, mais nous pensons que l'analyse est erronée, puisque 2001 n'a rien d'un film comique : utiliser une valse élégante comme contrepoint à une scène graveleuse serait ici du plus mauvais goût. « Le Beau Danube Bleu » est utilisée de manière purement récréative. A cet égard, Roger Manwell et John Huntley parle de « super-muzzak » alors que David Wisart explique au contraire que « Le Beau Danube Bleu est un air très connu et facile d'accès mais son inhérente magnificence l'empêche de sombrer dans la musique d'ambiance ».

Néanmoins, on pourrait ranger dans cette dernière catégorie l'adagio de la « Gayanne Ballet Suite » d'Aram Khatchatourian. Ce mouvement lent symbolise à la fois la rotation intérieure du vaisseau, et la solitude et l'ennui qu'éprouvent les cosmonautes pendant le voyage spatial.





En définitive, la musique, en plus d'illustrer les images afin d'accroître leur ampleur et l'émotion qu'elles contiennent, remplit plusieurs rôles distincts et singuliers dans ce film :

_ les musiques contemporaines de Ligeti illustrent les apparitions du monolithe

_ les valses accompagnent les rotations du film

_« Ainsi Parlait Zarathoustra » symbolise l'accession à la connaissance







La Valse, le Requiem et l'ouverture d' « Ainsi Parlait Zarathoustra » ont également selon Michel Chion, un point commun : tous affirment musicalement un mouvement ascensionnel. Les cuivres d'Ainsi Parlait Zarathoustra émergent d'une basse grondante en sautant d'une octave à l'autre, les cuivres et les vents de la Valse esquissent le thème sur des trémolos de cordes, les clusters orchestraux du Requiem de Ligeti tendent vers le haut. Les musiques de 2001 ont chacune leur rôle dans le film, mais elles nourrissent toutes de manière intrinsèque une parenté avec le principe « central » du film : l'intelligence.

Curieusement, Kubrick a réfuté la plupart des intentions philosophiques qu'on lui a prêté dans 2001. Kubrick déclare ainsi qu'il a « cherché à créer une expérience visuelle, qui passe outre les catégories verbales et pénètre directement le subconscient, avec un contenu émotionnel et philosophique. Je voulais que le film soit une expérience intensément suggestive qui ramène le spectateur à un niveau plus intérieur de connaissance, justement comme le fait la musique. Vous êtes libres de réfléchir comme vous le voulez sur la signification philosophique et symbolique du film. » . Mais il n'est pas dit qu'il n'ait pas pensé faire de 2001 un film « signifiant » et cette citation quelque peu ambiguë valide aussi toute interprétation ésotérique – symbolique, allégorique et philosophique – qui pourrait être faite. La musique a-t-elle une place dans ce processus ? Si nous nous en tenons au résultat, oui... et nous avons cherché à le démontrer. Mais si nous nous intéressons à la genèse, à la production du film, force est de constater que la majeure partie des morceaux ont été découverts par accident (« Ainsi Parlait Zarathoustra », « The Blue Danube », « Requiem »), comme souvent chez Kubrick. La question est alors de savoir si ce constat est de nature à invalider notre thèse selon laquelle la musique a un rôle prépondérant dans la révélation d'un message. Soit Kubrick a confronté ces morceaux au message qu'il voulait faire passer, soit il y a projeté ses désirs.

Quoiqu'il soit cette conception de la musique marque une révolution dans l'histoire du cinéma. Pour le grand public, la synchronisation de musiques préexistantes à l'½uvre dans ce film est considérée comme l'une des plus grandes réussites de l'½uvre de Kubrick. En radicalisant l'utilisation de la musique du répertoire, Kubrick permet deux niveaux de lecture : une lecture pour le grand public, qui sera émerveillé par la beauté des images ainsi musicalisées, et une lecture pour une certaine élite qui verra dans l'utilisation de la musique une signification intellectuelle. En procédant ainsi, Kubrick a fait de 2001 A SPACE ODYSSEY un film à la fois très riche – maintes fois commenté – et très accessible – populaire. Aujourd'hui la « Valse » de Strauss et les appels cuivrés d' »Ainsi parlait Zarathoustra », le « Requiem » et « Atmosphères » sont éternellement indissociables des images qu'ils accompagnent.

Quatre ans plus tard, les soviétiques répondent à 2001 en produisant SOLARIS, un film de Tarkovski : le compositeur électronique Artemiev utilisera également la musique classique, en l'occurrence un prélude de Bach, pour accompagner ce film de science fiction de deux heures, semble-t-il aussi philosophique qu'ennuyeux.

En 1970, l'un des modules du vaisseau spatial Apollo 13 est baptisé ODYSSEY. L'équipage de la navette (James A. Lowell Jr., John L. Swigert Jr. et Fred Wallace Haise Jr) envoient des images illustrées par des musiques extraites du film de Kubrick. Quelques temps plus tard, une explosion rend inopérant le module ODYSSEY. On connaît la suite...








​ 0 | 1 |
​
0 | Partager
Commenter

Plus d'informationsN'oublie pas que les propos injurieux, racistes, etc. sont interdits par les conditions générales d'utilisation de Skyrock et que tu peux être identifié par ton adresse internet (3.235.228.219) si quelqu'un porte plainte.

Connecte-toi

#Posté le samedi 17 novembre 2007 20:35

Modifié le jeudi 28 août 2008 18:57

STANLEY KUBRICK

Ajouter cette vidéo à mon blog




FILM : 2001 A Space Odyssey (1968) (VOIR ICI )
MUSIQUE : BLUE DANUBE
COMPOSITEUR ; JOHANN STRAUSS










​ 0 | 1 |
​
0 | Partager
Commenter

Plus d'informationsN'oublie pas que les propos injurieux, racistes, etc. sont interdits par les conditions générales d'utilisation de Skyrock et que tu peux être identifié par ton adresse internet (3.235.228.219) si quelqu'un porte plainte.

Connecte-toi

#Posté le samedi 17 novembre 2007 20:37

Modifié le jeudi 28 août 2008 18:07

STANLEY KUBRICK

Ajouter cette vidéo à mon blog


FILM : A Clockwork Orange (1971) ( VOIR ICI )
MUSIQUE : Funérailles de la Reine Mary (réArangée)
COMPOSITEUR : HENRY PURCELL






III) 1968-1999 : La modernité dans la tradition




Avec 2001 A SPACE ODYSSEY, l'année 1968 inaugure une nouvelle ère. Jean-Michel Frodon écrit à cet égard que « le cinéma de Kubrick devient complètement un cinéma abstrait, cosa mentale , mais qui dépend fort peu de constructions verbales, la mise en scène visant au contraire à inventer des dispositifs non narratifs plus captivants que les intrigues les mieux bouclées. [...] Par le rythme, par la composition du cadre, par des systèmes de références ostensibles, par un sens graphique tantôt très épuré et tantôt saturé jusqu'au kitsch, Kubrick [...] travaille moins à organiser les épisodes d'un récit qu'à susciter des effets psychosensoriels chez ses spectateurs. »

Dans ce contexte, la musique ne devient plus seulement un élément émotionnel, il devient narration, par le jeu des correspondances et des références culturelles, afin de combler le vide de l'intrigue. A l'instar des scénarii des mêmes films, Kubrick choisit de transposer à l'écran des ½uvres préexistantes. Ce procédé, qui apparaît davantage comme une transmutation qu'une simple adaptation, permet à Kubrick d'instrumentaliser la culture des spectateurs afin de faire passer son message de manière subliminale.

En 1972, Kubrick répondra à Michel Ciment qui lui demandait quelle était son attitude vis à vis de la musique de film : « À moins que vous ne vouliez de la musique pop, il est vain d'employer quelqu'un qui n'est pas l'égal d'un Mozart, d'un Beethoven ou d'un Strauss pour écrire une musique orchestrale. Pour cela on a un vaste choix dans la musique du passé. Parfois il y a de la musique moderne intéressante mais si vous voulez une musique d'orchestre, je ne sais pas qui va vous l'écrire. » Il ne dira pas autre chose en 1976 : « Si l'on veut utiliser de la musique symphonique, pourquoi la demander à un compositeur qui de toute évidence ne peut pas rivaliser avec les grands musiciens du passé ? Et c'est un tel pari que de commander une partition originale. Elle est toujours faite au dernier moment, et si elle ne vous convient pas, vous n'avez jamais le temps de changer. Mais quand la musique convient à un film, elle lui ajoute une dimension que rien d'autre ne pourrait lui donner. Elle est de toute première importance. »




--------------------------------------------------------




7° A Clockwork Orange (1971) ( VOIR ICI )
Musique : Ludwig van Beethoven, Edward Elgar, Gioacchino Rossini, Terry Tucker, Henry Purcell, James Yorkston, Arthur Freed, Nacio Herb Brown, Rimsky-Korsakov, Erika Eigen
Arrangements électroniques : Walter Carlos




Le film ultra violent et kitsch de Kubrick, est ici centré sur la figure tutélaire de Ludwig Van Beethoven, grand génie s'il en est, et guide spirituel d'Alex. La musique est donc un élément important de l'histoire : le caractère martial et furieux de la musique de Beethoven justifie selon Burgess le comportement violent d'Alex. D'emblée, d'un point de vue musical, A CLOCKWORK ORANGE diffère radicalement du film qui le précède. Si la musique de 2001 A SPACE ODYSSEY a une dimension spirituelle, celle d'A CLOCKWORK ORANGE agit comme une métaphore de la force et de la puissance.

A CLOCKWORK ORANGE n'aurait pas eu l'impact qu'il a eu sur toute une génération si Walter Carlos (devenu Wendy Carlos) n'était pas intervenu dans le processus. Le compositeur n'avait pas encore vraiment composé pour un film, à l'exception d'une ½uvre datant de 1963, IMAGE, et c'est Kubrick qui a demandé au jeune musicien, alors âgé de 32 ans, de réarranger au synthétiseur les chefs d'½uvres de Beethoven, Rossini et Purcell. Un choix qui n'est pas innocent, puisque Walter Carlos avait déjà composé en 1968 un album de reprises électroniques au synthétiseur Moog d'½uvres de Jean-Sébastien Bach (le « Kantor » et les « Concertos Brandebourgeois »), « Switched-On Bach », un projet révolutionnaire qui avait bouleversé le réalisateur. Cependant, ce n'est qu'après avoir envoyé une cassette à l'avocat de Kubrick que Wendy Carlos et sa collaboratrice R. Elkind sont convoquées en Grande-Bretagne afin de composer la musique du film.

Choisir des musiques classiques pour un film traitant de la violence et de son traitement dans un futur proche post-apocalyptique peut surprendre. Le sujet aurait plutôt appelé du rock, courant musical de la jeunesse contestataire . Mais Kubrick a préféré utiliser de la musique du passé pour illustrer son film.

Avec Walter Carlos, la musique de ces maîtres des époques classique et baroque, devient torturée, distordue par les traitements informatiques, presque dégoulinante de mauvais goût, comme pour souligner la folie absurde du personnage interprété par Malcom McDowell. Les traitements informatiques, ces arrangements disjonctés pour le synthétiseur ont pour effet d'accentuer la violence, le futurisme et l'aspect kitsch du film. Néanmoins, l'apport de Walter Carlos ne se limite pas à ces arrangement. Le compositeur a également composé deux morceaux pour le film: le thème d'Orange Mécanique (« Beethoviana »), et « Timesteps », un titre que Wendy Carlos qualifie d'à la fois de « sériel » et de « dogmatique ». Un retour très discret de la musique originale dans l'½uvre de Kubrick, car la musique préexistante demeure bien un élément essentiel.

Réarrangée ou non, la musique classique est détournée de sa fonction première.

Pendant le générique, la reprise de la « Musique pour les Funérailles de la Reine Mary » de Purcell (qui par ailleurs contient des éléments du séculaire Dies Irae, qu'on entendra de nouveau dans SHINING, réarrangé par le même compositeur) semble introduire une tragédie, alors que les couleurs vives du début (un panneau rouge vif provocant en guise d'ouverture, puis une succession de panneaux bleus / rouges) semble plutôt annoncer le contraire. Le générique avertit le spectateur : le film que vous allez voir exalte le contraste et opte pour un style cinématographique radical et extrémiste où tout est possible.

De la même façon, mais de manière plus évidente, la puissance de la musique de Beethoven ou la légèreté des airs de Rossini sont utilisés afin d'exacerber les délires du protagoniste.

Beethoven inspire la violence d'Alex et le conduit à interpréter de façon fautive ce qui l'entoure (comportement qu'on qualifie de « décodage aberrant » en psychologie) : ainsi la « Neuvième Symphonie » accompagne-t-elle les divagations bibliques d'Alex et la sonnette des Alexander entonne la « Cinquième Symphonie ». Au Korova Milk-Bar, Alex donne un coup de canne à Dim parce qu'il a osé se moquer d'une femme qui interprétait la Neuvième Symphonie. Mais la musique de Beethoven accompagne également des parades hitlériennes pendant le traitement Ludovico. La musique de Beethoven change de registre : alors qu'auparavant, elle faisait de la violence une chose positive, elle l'assombrit ici : elle deviendra source de douleur pour Alex. La Neuvième, réarrangée par Carlos, servira ainsi d'arme à Alexander pour conduire son agresseur au suicide.

Rossini accompagne la plupart du temps les scènes de façon contrapuntiques et très clairement ironique (pour les protagonistes, il ne s'agit que d'un jeu). En témoigne cette scène hilarante et ludique où l' « Ouverture de Guillaume Tell » de Rossini, accélérée à une vitesse inimaginable, illustre des pirouettes triolistes qui n'en finissent jamais (A CLOCKWORK ORANGE et EYES WIDE SHUT sont les deux seuls film de Kubrick où le sexe est montré très crûment, sans aucune pudeur).


Rossini , dans sa version originale, sert aussi à « chorégraphier » la violence. Ainsi « La Pie Voleuse » de Rossini a été superbement utilisée par Kubrick dans la scène avec la bande de Billy Boy. Les malfrats, en costumes nazis, s'apprêtent à violer une jeune femme nue. La mise en musique d'une scène qui se déroule dans un théâtre n'est pas anodine. Les mouvements de la « devotchka », qui tentent en vain d'échapper à ses bourreaux, font penser à une danse, dans le style des chorégraphes contemporains: les gestes sont démesurés, les acteurs exécutent des va et vient sur la scène, occupent l'espace en catapultant leurs corps comme chez Martha Graham (pour qui la colonne vertébrale est le point de départ du mouvement) , une danse torturée et ambiguë mise en valeur par le morceau léger de Rossini. Lorsqu'Alex et ses « droogs » apparaissent, la musique continue, et la bagarre, elle aussi, prend l'aspect d'une danse. Plus tard, alors qu'Alex précipite ses droogs dans la Tamise, le même air retentit : la bagarre est filmée au ralenti, comme chorégraphiée. Le meurtre de la Femme aux Chats est également illustrée par la musique de « La Pie Voleuse » : le spectateur assiste alors à une danse macabre avec un phallus grotesque, où les cris d'Alex semblent étrangement souligner le thème de Rossini. A CLOCKWORK ORANGE prend donc très souvent la forme d'une comédie musicale, où l'image, comme dans un clip, semble accompagner la musique, plutôt que le contraire. L'utilisation dans le film de la chanson « Singing in The Rain », extrait de la comédie musicale du même nom, et autrefois interprétée par Gene Kelly, semble renforcer cette impression.

Il est à noter que la synchronisation des morceaux est très précise et suit le montage de près, ce qui sur une durée aussi longue, relève presque de l'exploit, ou du génie, c'est selon. Lorsque les sirènes de police retentissent, seuls les violons se font entendre, et le thème reprend lorsqu'Alex s'enfuit. Quand enfin ce dernier est frappé par surprise par ses droogs devant la maison, on entend une phrase tragique au basson, dans le grave.

D'autres musiques du répertoire accentuent l'ironie du film. On entend ainsi dans leur version originale, une marche d'Elgar afin accompagner la visite du ministre dans la prison d'Alex (« Pomp and Circumstance March » N°1 et N°4), comme pour de tourner en dérision la solennité protocolaire de cet « événement » (juste avant les prisonniers marche en rond, mais en silence), et des extraits orientalisants de Sheherazade, qui illustrent les fantasmes d'Alex dans la prison, rappelant les MILLE ET UNE NUIT de Pasolini. La chanson « Singing in The Rain », accompagne quant à elle diégétiquement le meurtre de Madame Alexander. La chanson de Brown et Freed, n'est pas un choix de Kubrick : c'est l'acteur Malcom Mc Dowell qui eut l'idée de siffloter cette chanson pendant le tournage. On entend de nouveau cette mélodie lorsqu'Alex, qui a trouvé refuge chez M. Alexander, sifflote l'air dans son bain, ce qui permet à son hôte de l'identifier comme le meurtrier (la musique acquiert ici un rôle direct dans la narration). Enfin, on entend la version originale de « Singin' In The Rain » sur le générique de fin, comme pour se moquer de ce faux « happy end ».

La musique d'A CLOCKWORK ORANGE comprend également quelques airs d'un trio américain new-age, Sunforest, que Kubrick avait entendu à la radio : « Overture To The Sun » & « I Want To Marry a Lighthouse »

Par ailleurs, le spectateur attentif aura remarqué que lorsqu'Alex se rend dans le magasin de disque où il accoste les deux jeunes filles avec qui il se livrera à des jeux coquins, on peut apercevoir dans les rayons, bien en évidence, un vinyle de la musique du film 2001 A SPACE ODYSSEY. Une volonté de raccrocher de nouveau ce film à celui qui précède. Et une fois n'est pas coutume le lien est musical.








​ 0 |
​
0 | Partager
Commenter

Plus d'informationsN'oublie pas que les propos injurieux, racistes, etc. sont interdits par les conditions générales d'utilisation de Skyrock et que tu peux être identifié par ton adresse internet (3.235.228.219) si quelqu'un porte plainte.

Connecte-toi

#Posté le samedi 17 novembre 2007 20:43

Modifié le jeudi 28 août 2008 19:07

STANLEY KUBRICK

Ajouter cette vidéo à mon blog



FILM : A Clockwork Orange (1971) ( VOIR ICI )
MUSIQUE : 9ème SYMPHONIE
COMPOSITEUR : LUDWIG VAN BEETHOVEN












​ 0 |
​
0 | Partager
Commenter

Plus d'informationsN'oublie pas que les propos injurieux, racistes, etc. sont interdits par les conditions générales d'utilisation de Skyrock et que tu peux être identifié par ton adresse internet (3.235.228.219) si quelqu'un porte plainte.

Connecte-toi

#Posté le samedi 17 novembre 2007 20:54

Modifié le jeudi 28 août 2008 19:06

Ses archives (8 000)

  • STANLEY KUBRICK sam. 17 novembre 2007
  • STANLEY KUBRICK sam. 17 novembre 2007
  • STANLEY KUBRICK sam. 17 novembre 2007
  • STANLEY KUBRICK sam. 17 novembre 2007
  • STANLEY KUBRICK sam. 17 novembre 2007
  • STANLEY KUBRICK sam. 17 novembre 2007
  • Précédent
  • Suivant
  • Précédent
  • 1 ...
  • 666
  • 667
  • 668
  • 669
  • 670
  • 671
  • 672
  • 673
  • 674
  • ... 1600
  • Suivant

Design by STEFGAMERS

Signaler un abus

Abonne-toi à mon blog ! (2 abonnés)

RSS

Skyrock.com
Découvrir
  • Skyrock

    • Publicité
    • Jobs
    • Contact
    • Sources
    • Poster sur mon blog
    • Développeurs
    • Signaler un abus
  • Infos

    • Ici T Libre
    • Sécurité
    • Conditions
    • Politique de confidentialité
    • Gestion de la publicité
    • Aide
    • En chiffres
  • Apps

    • Skyrock.com
    • Skyrock FM
    • Smax
  • Autres sites

    • Skyrock.fm
    • Tasanté
    • Zipalo
  • Blogs

    • L'équipe Skyrock
    • Music
    • Ciné
    • Sport
  • Versions

    • International (english)
    • France
    • Site mobile